Le coup d’État de trop

Dimanche dernier, l’armée birmane a de nouveau tiré sur la foule des manifestants et décrété la loi martiale dans les quartiers populaires de la capitale économique, Rangoun. Depuis leur putsch du 1er février dernier en Birmanie, les militaires ont déjà fait plus de 124 morts. Mais malgré cette répression, la population continue avec courage à faire grève et à manifester dans tout le pays, derrière des slogans tels que : « Libérez nos dirigeants » ou « Respectez nos votes ». De son côté, le conseil de sécurité de l’ONU n’a rien trouvé de mieux que de demander aux forces armées birmanes de « faire preuve de la plus grande retenue ».

Un capitalisme couleur kaki

Depuis plus de soixante ans, en Birmanie (ou le Myanmar, son nom officiel), l’armée exerce la réalité du pouvoir. Mais elle avait dû lâcher du lest devant les classes populaires qui n’en peuvent plus, en libérant en 2010 l’opposante Aung San Suu Kyi, qui a accédé au gouvernement en 2016. L’armée n’en conservait pas moins ses positions clés à la tête du pays et l’ancienne prix Nobel de la paix ne s’y est jamais franchement opposée. Elle a même couvert des massacres commis par l’armée birmane sur les Rohingyas, une minorité de religion musulmane du pays. Mais pour la population laborieuse, ce début d’évolution du régime était un espoir. C’est au succès de Aung San Suu Kyi aux élections législatives de novembre dernier que les chefs de l’armée ont voulu mettre un terme par leur putsch. Pour conserver leur mainmise totale non seulement sur le pouvoir politique mais aussi sur l’économie du pays. Le chef de la junte dirige deux des plus grands conglomérats économiques de Birmanie, dont les activités s’étendent à presque tous les secteurs : zones portuaires, mines de jade et de rubis, immobilier et construction. Un vrai capitalisme kaki.

Entreprises françaises complices

C’est avec ces groupes géants, contrôlés par les militaires, que les multinationales présentes en Birmanie font affaire. Le matériel du français Idemia, « leader de l’identité augmentée », a aidé à arrêter 1 700 opposants au coup d’État. Les mensonges de la chaîne d’État « Myanmar Radio and Television » continuent à être diffusés par une des filiales de Canal+. Accor, Lafarge ou Bouygues ont également d’importants intérêts dans le pays.

La part du lion revient au groupe Total, qui partage une bonne part des ressources pétrolières du pays avec le groupe américain Chevron et quelques autres. En 1995, Total était déjà mis en cause pour avoir fait construire son gazoduc à travers la jungle birmane en ayant recours au travail forcé, sous la surveillance de l’armée. Sans parler des pots-de-vin pour obtenir ses contrats.

De la désobéissance civile à la grève générale

Ce sont précisément ces travailleurs, surexploités par les militaires comme par les multinationales occidentales, qui sont en première ligne dans la résistance au coup d’État. Dans le cadre d’un vaste mouvement dit de « désobéissance civile », de nombreux salariés ont complètement cessé le travail. Les écoles, les administrations, les hôpitaux et les banques sont fermés.

Les 600 000 femmes salariées des usines textiles participent à la lutte. Les employés des compagnies d’électricité et des chemins de fer sont en grève. Leurs syndicats ont appelé avec succès le reste de la population à ravitailler les grévistes et à suspendre la perception des loyers du côté des propriétaires, pour ceux qui participent à la grève. Le 10 mars, les forces de sécurité ont lancé un raid contre les 800 cheminots grévistes de la gare de Rangoun, encerclé les immeubles où ils résident avec leurs familles et défoncé les portes des appartements.

La classe ouvrière, jeune, révoltée par l’exploitation et le manque de libertés, est dans la rue. Ses aspirations à la liberté et aux droits démocratiques, à pouvoir s’organiser pour défendre ses propres exigences sociales et politiques comme celles de bien d’autres, fait d’elle une lourde menace pour la junte militaire. L’économie birmane est aux mains des dirigeants de l’armée. Ce capitalisme kaki repose sur l’exploitation des travailleurs. Ce sont eux au final qui ont les moyens de renverser ce système et d’en finir une bonne fois pour toutes avec la dictature militaire.

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