L’élection de Donald Trump marque la fin d’un cycle qui avait débuté après la seconde guerre mondiale. Menacée par la croissance de sa dette et celle de la Chine, Trump doit rendre sa grandeur à l’Amérique. L’Union européenne et la Gauche semblent incapables d’être une alternative. Entre contre-révolution conservatrice et démocratie bourgeoise à bout de souffle, il y a urgence à trouver une troisième voie.

Comment qualifier Donald Trump et son arrivée au pouvoir. Un coup d’Etat ? Le 47ème président de Etats-Unis a pourtant été élu dans les règles avec 49,79 % des suffrages exprimés (soit 31,45 % des inscrits pour le candidat conservateur si on prend en compte les 36,39 % d’abstention) contre 48,32 % à la démocrate Kamala Harris (30,52 % des inscrits). Serait-il l’incarnation d’une nouvelle forme de fascisme, de populisme, de conservatisme… ? Sûrement un peu de tout ça. Les revirements, les déclarations péremptoires et parfois contradictoires de Trump ont de quoi semer le trouble, quand la vague de ses premiers décrets sème la peur et le rejet d’une partie de la population américaine et du reste du monde.
Ce qu’on observe depuis l’investiture du milliardaire américain le 20 janvier 2025 a tout l’air cependant d’une contre-révolution conservatrice. Conservatrice en ce qui concerne les valeurs avec le « wokisme » en épouvantail. Contre-révolutionnaire car le début de la présidence Trump rompt avec l’alternance habituelle entre Démocrates et Républicains. Elle prend à revers les politiques dominantes actuelles dans de nombreux domaines ou en amplifie tellement certaines qu’elles changent de nature : gouvernance, société, environnement, international, économie… Donald Trump court-circuite les institutions internationales (OTAN, ONU, CPI, OMC, COP[1]…) et se moque de leurs décisions quand celles-ci ne conviennent pas à ce qu’il considère comme l’intérêt des Etats-Unis. C’est la fin d’un cycle qui a commencé au sortir de la seconde guerre mondiale.
Il ne s’agit pas ici de commenter les mesures réelles et les effets d’annonce d’un président climatosceptique aux manettes de la première puissance mondiale, mais de comprendre les raisons d’un tel changement brutal de régime et où il peut nous mener.
Un colosse aux pieds d’argile
« Make America Great Again ». Ce slogan brandi par Donald Trump et ses supporters (les MAGA) en dit paradoxalement beaucoup sur la perte de puissance des Etats-Unis d’Amérique. S’il faut « rendre sa grandeur à l’Amérique », c’est qu’elle l’a perdue. Celle-ci reste certes la première puissance mondiale, mais elle est talonnée par la Chine dans un monde désormais multipolaire (Inde, Russie…). Une partie de la bourgeoisie américaine a choisi de nouveau Trump (qui a déjà fait un premier mandat de 2017 à 2021) pour tenter de regagner le lustre perdu dans une sorte de coup de poker. Aux classes moyennes et populaires, Trump promet de redonner la fierté d’être « Américain », le mirage d’une « identité » à défaut de la splendeur passée de l’American Way of Live.
Les Etats-Unis bénéficient encore de l’inertie de leur puissance passée, grâce au Dollar et à leur suprématie militaire (750 bases militaires américaines extraterritoriales sont dispersés aujourd’hui dans 80 pays). Mais pour combien de temps ? Sa dette et son déficit commercial se creusent et menacent les fondements économiques de l’hégémonie américaine. Et si Trump doit hausser le ton sur le plan international, cela montre surtout que les Etats-Unis ont perdu de leur leadership.
La dette de l’état fédéral devient obèse, avec une prévision dépassant les 36 000 milliards de dollars pour l’année fiscale 2024. L’agence de notation Fitch, chargée notamment d’évaluer la capacité des Etats à rembourser leurs dettes, évalue celle-ci à 115% du Produit Intérieur Brut (PIB) des Etats-Unis. Il est probable que le congrès américain doive de nouveau voter l’augmentation du plafond de la dette. Il l’a fait 78 fois depuis 1960.
A force de grossir, la dette fédérale pourrait éclater. Elle a doublé en 10 ans, quintuplé en 20 ans. Elle a commencé à décoller dans les 1980 où elle était alors d’environ 900 millions de dollars, 40 fois moins qu’aujourd’hui. Et les prévisions sont moroses. En 2023, Fitch a abaissé d’un cran à AA+ la dette de l’Etat fédéral américain. Même si on est loin du défaut de paiement, c’était une première alerte depuis 2011. En 2024, les intérêts de la dette représenteront le deuxième poste de dépense avec plus de 13% du budget fédéral : 881 milliards de dollars d’intérêt sur la dette à rembourser, davantage que le PIB de la Suisse ou de Taiwan qui se classent au 20ème rang mondial !
Donal Trump a donc nommé Elon Musk à la tête du Department Of Gouvernment Efficiency (DOGE). Alors que « l’homme le plus riche du monde » selon le magazine américain Forbes explique que l’Etat est au bord de la faillite, le département de l’efficacité gouvernementale a déjà commencé par tailler dans les budgets sociaux et environnementaux. Malgré le déficit fédéral, Trump et Musk veulent continuer à baisser les impôts sur les revenus et sur les sociétés, des cadeaux aux plus riches censés relancer la dynamique économique. Trump ne fait qu’amplifier la politique menée par Biden et ses prédécesseurs démocrates ou républicains, mais dans des proportions bien plus grandes. De plus en plus lesté de ses oripeaux sociaux, l’Etat dévoilerait ainsi sa vraie nature oligarchique, un Etat dont la mission est la défense des intérêts de la bourgeoisie américaine.
Pour augmenter les recettes, Donald Trump compte aussi sur la hausse des taxes sur les importations. Les États-Unis présentent des déficits bilatéraux conséquents avec la Chine, l’Union européenne ou le Mexique. Pour inverser la tendance, Donald Trump s’est lancé dans des négociations transactionnelles d’Etat à Etat, hors de tout cadre multilatéral, agitant la menace de hausse des droits de douane pour inciter les entreprises étrangères à investir aux USA. Les Etats-Unis ont longtemps milité pour le libre-échange que ce soit à travers l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT, General Agreement on Tariffs and Trade) créé en 1947, puis via l’Organisation Mondiale du Commerce, l’OMC créée en avril 1994. Le retour en force du protectionnisme marque la fin de la mondialisation libérale. C’est un des aspects de la contre-révolution trumpienne.
Une hégémonie menacée par la Chine
Dans ses relations internationales, il est un pays qui a un statut particulier pour les Etats-Unis : la Chine. L’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001, les délocalisations des entreprises occidentales en proie à la baisse de leurs taux de profit, ont donné naissance à des géants industriels et à une nouvelle puissance économique qui peut désormais rivaliser avec les Etats-Unis. Conséquence de son exceptionnelle croissance, le nouveau capitalisme chinois est à l’étroit dans ses frontières nationales. D’où sa politique d’extension. Xi Jinping, qui a bâti son ascension dans le Parti Communiste Chinois sur l’exaltation du sentiment national, a remis au goût du jour en 2013 les anciennes routes de la soie, matérialisées par la construction et le développement de ports, d’aéroports, de routes ou de voies ferrées dans le monde entier. Ces infrastructures visent à favoriser les exportations et les importations avec la Chine, mais aussi à accroitre son rayonnement économique, financier, politique et militaire. Les routes de la soie se déploient dans de multiples plusieurs domaines.
Numérique. On pense à l’intelligence artificielle (DeepSeek), au réseau social Tik-Tok, à Huaweï, aux communications par satellites ou par câbles… Les Etats-Unis ont ainsi banni une demi-douzaine d’entreprises chinoises des télécoms, dont Huawei et ZTE. Ils ont cherché à limiter les capacités des calculateurs chinois en interdisant la vente à la Chine des puces informatiques de dernière génération. Ils menacent d’interdire définitivement Tik-Tok sur leur territoire si celui-ci ne lui vend pas sa filiale américaine.
Normative. Avec son programme « China Standard 2035 », la Chine cherche à promouvoir ses propres normes techniques et standards, notamment dans la technologie 5G. L’établissement de normes permet en effet à un pays ou à une entreprise qui la définit et qui l’impose à l’international d’obtenir l’avantage du premier arrivé et d’acquérir des parts de marché ou une position dominante sur celui-ci.
Bancaire. On pense au système CIPS (Cross-Border Interbank Payments System), une alternative au système américain CHIPS (Clearing House Interbank Payments System), utilisé par exemple dans les échanges commerciaux entre la Chine et la Russie, qui se sont développés suite aux sanctions occidentales contre la Russie prises en réaction à son invasion de l’Ukraine.
Monétaire. Le Yuan (ou Renminbi qui est la monnaie chinoise pour les échanges internationaux) ne représentait certes en 2024 que 4 % des paiements internationaux, loin derrière le Dollar. Mais les réserves internationales de change en Dollars ont tendance à baisser, tandis que celles en Renminbi augmentent. La Chine est aussi devenue le premier prêteur bilatéral du monde. Elle a contribué à la création de nouvelles institutions comme la BAII (Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures). Le Yuan est aussi la monnaie d’échange au sein des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), qui s’est renforcé avec l’admission de l’Égypte, des Émirats arabes unis, de l’Éthiopie, de l’Iran et de l’Indonésie. Les BRICS+ sont une alternative au G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni) qui risque lui aussi de pâtir de la nouvelle politique transactionnelle de Trump.
Militaire. La Chine a développé ses capacités d’intervention nucléaire et militaire, sur terre, sur mer, dans les airs et l’espace. Le développement de sa puissance maritime, avec notamment le déploiement de navires de guerre et de bases militaires en mer de Chine et particulièrement aux environs de Taïwan, est un souci majeur pour les Etats-Unis qui voient leur hégémonie contestée dans cette région du monde capitale notamment pour le trafic maritime marchand.
Diplomatique. La Chine a acquis un poids politique et peut désormais jouer le rôle de médiateur à l’instar des institutions internationales (ONU…) ou des USA, comme elle l’a fait dans le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite en 2023. La Chine bénéficie d’une image plus neutre que les Etats-Unis impliqués dans de nombreux conflits, de l’Afghanistan à l’Irak.
Quelle alternative ?
Les premiers jours du deuxième mandat de Trump dressent une politique plus agressive envers les autres Etats et, sur le territoire des Etats-Unis, envers les migrants fuyant la misère ou l’oppression et envers celles et ceux des classes moyennes et populaires qui bénéficient de programmes sociaux ou d’inclusion. Mais l’agressivité n’est-elle pas le syndrome d’un Etat aux abois ? L’offensive trumpiste pourrait n’être qu’une fuite en avant menant vers une conflagration générale.
Raison de plus pour combattre la politique de Donald Trump et de ses avatars. En France et dans toute l’Europe, l’élection de Trump renforce et légitime les partis et les courants d’Extrême-droite (AFD, RN, Reconquête, groupes identitaires ou néo-nazis…). Mais le trumpisme pèse en réalité sur toute la société qui connait une montée du nationalisme, de la xénophobie, du masculinisme ou encore du racisme.
Face au regain d’agressivité des Etats-Unis, que ce soit à propos des droits de douane ou des négociations sur l’Ukraine relancées unilatéralement par Trump, plusieurs dirigeants européens mettent en avant le renforcement de l’Union Européenne. Mais renforcer l’UE face à la Russie et aux carence des Etats-Unis ne peut qu’alimenter les tensions internationales et entrainer le monde dans une spirale guerrière. Que peut apporter de nouveau cette Europe, elle qui a été bien incapable de résoudre les problèmes sociaux, économiques et environnementaux que nous traversons ? Or c’est sur la crise actuelle du capitalisme que le trumpisme prospère… et sur les échecs de la Gauche américaine, les Démocrates, à la résoudre.
Que ce soient sous la présidence de Joseph Biden aux Etats-Unis ou celle de François Hollande en France, la Gauche ou son équivalent outre-Atlantique a en effet montré qu’elle était bien incapable de résoudre les problèmes posés à l’humanité (inégalités, guerres, dérèglement climatique…) quand elle n’en était pas responsable et ne les aggravait pas. En France, celle-ci se donne en spectacle dans un affrontement verbal entre la France Insoumise et le Parti Socialiste, avec comme seules perspectives les prochaines élections. Un schéma fratricide qu’on retrouve à l’Extrême-gauche, morcelée entre des petits groupes qui semblent relégués à une dénonciation aussi inopérante que tonitruante de la trumpisation ambiante, alors qu’unie, ou à défaut rassemblée, elle pourrait être une alternative.
Partout dans ce qu’on appelait « l’Occident », les systèmes démocratiques bourgeois sont à bout de souffle, se délitant dans une succession de crises politiques. Ces crises sont le symptôme d’une crise profonde du capitalisme. La bourgeoisie est alors tentée, pour garder son hégémonie et sa puissance, de recourir à des régimes autoritaires de plus en plus fascisants. Mais la vague réactionnaire actuelle, cette contre-révolution conservatrice suscite partout des résistances. Nous sommes de plus en plus confrontés au vieil adage du mouvement ouvrier révolutionnaire : « socialisme ou barbarie ».
Face à la montée de l’Extrême-droite, qui est le danger le plus immédiat, il s’agit à la fois de faire front avec les forces politiques qui y sont opposées et, dans le même temps, de construire une perspective pour sortir de l’alternative démocratie libérale ou contre-révolution conservatrice. C’est peu dire qu’il y a urgence.
Gilles Seguin, le 18 février 2025
[1] OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, ONU : Organisation des Nations Unies, CPI : Cour Pénale Internationale, OMC : Organisation Mondiale du Commerce, COP : Conférence Of the Parties sur le Climat.