La fausse affaire d’espionnage chez Renault vue de l’intérieur : Ghosn et Pelata, agents double zéro

 

Début janvier, suite à l’annonce en fanfare dans les médias d’une affaire d’espionnage à Renault, les salariés ont immédiatement été priés de resserrer les rangs autour de la direction. Mais les méthodes musclées employées envers les trois cadres accusés rien moins que « de corruption en bande organisée mettant en cause les intérêts de Renault au profit d’une puissance étrangère » et l’absence de preuves étayant cette accusation rendaient les salariés sceptiques. D’autant plus que c’est par la presse qu’ils ont appris ce qui se passait. Ce mutisme de Renault n’a fait que renforcer les doutes.

En effet, on apprit très vite que la « trahison » des « rois mages » [1] avait été découverte grâce à une lettre de dénonciation anonyme. Il s’agit précisément d’une pratique récemment instaurée et encouragée par l’entreprise. En décembre 2008, chaque salarié avait reçu un code de déontologie dans lequel figurait un formulaire d’« alerte professionnelle ». Chacun était incité à « signaler toute irrégularité dans les domaines financiers, comptables, bancaires et de lutte contre la corruption » et à envoyer ce formulaire de façon anonyme à la « fonction Compliance », créée spécialement pour recueillir et « traiter » ce type d’alertes. Ce système faisant de tout salarié un policier potentiel avait été à l’époque très mal accueilli.

Le drôle de « service de sécurité » de Renault

Toujours par la presse, les salariés ont découvert la composition du service de sécurité de Renault, avec un ancien de la DGSE, Remy Pagnie, comme chef de service, épaulé d’un ex-policier de la brigade financière de Versailles, Marc Tixador, et d’un ancien capitaine de la DPSD [2], Dominique Gevrey, qui était en charge du suivi des mercenaires en Afrique. Ce dernier prétend avoir une « source » qui lui fournit toutes sortes d’informations sur les « espions ». Les pieds-nickelés ou les barbouzes : c’est ainsi que ces trois-là seront surnommés.

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Au fur et à mesure des révélations, la réputation de la direction de Renault, notamment de son PDG, Carlos Ghosn, en ont pris un coup, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’entreprise. Même l’annonce dans un journal télévisé par Ghosn de son renoncement à son bonus, jusque-là tenu secret, de 1,6 million d’euros semait le tollé. Les salariés ont surtout retenu qu’il s’apprêtait à empocher ce bonus alors qu’il avait limité les augmentations générales des salaires à 1,7 %.

« Les victimes »

Avec l’avancement de l’enquête, les preuves se sont accumulées contre Renault, ou plus exactement, celles de Renault ont fait « pschitt ». Même si les faux expions étaient diversement appréciés, le fait qu’ils aient été licenciés et calomniés en public sans aucune preuve a choqué les salariés.

Ils devraient se partager 11 millions d’euros de dommages et d’indemnités. Des sommes jamais touchées par aucun ouvrier, technicien ou cadre non dirigeant licencié par Renault, même après de longues procédures aux prud’hommes.

Renault prétend maintenant avoir été victime d’une escroquerie à l’information. Un audit interne pointe des « erreurs de management », évidemment puisque toutes les preuves sont fausses. Ghosn a annoncé qu’il était hors de question qu’il présente sa démission car, a-t-il modestement dit dans un journal télévisé, il est « un atout pour son entreprise ». Il a présenté ses excuses publiques aux trois cadres. Mais pas aux salariés qui se sentent trompés. Pour protéger Ghosn, Patrick Pelata a été relevé de ses fonctions de Directeur général de Renault le 11 avril lors d’un conseil d’administration extraordinaire. Il est chargé provisoirement de gérer la crise d’approvisionnement en composants électroniques liée au séisme japonais, en attendant d’être recasé dans l’Alliance Renault-Nissan.

Au final, c’est tout le système qui frise l’escroquerie et la barbouzerie : les méthodes (lettres anonymes, James Bond de la sécurité, interrogatoires enregistrés), le management par la soumission et la pression. Comme le dit l’ex-numéro 2 de Renault, Patrick Pelata, sur son blog : « La justice doit être équilibrée entre droit de la défense et protection des biens et des personnes. L’entreprise, elle, n’a ni les moyens de la justice ni ceux de la police, mais doit se protéger dès que le risque est élevé. Au risque de l’injustice. » Tout est dit. De nombreux salariés réclament la démission de Carlos Ghosn. Mais ils sont bien seuls. Ni l’État, ni le Conseil d’administration composé de PDG ou d’administrateurs de sociétés, comme Danone, Total, Areva, Bouygues, LVMH ou Glaxo, mais aussi de syndicalistes, ne réclament son départ.

 

14 avril 2011 – Patrick LEFUR – Convergences Révolutionnaires

 


Petit rappel chronologique

 

  • Dans une lettre anonyme du 17 août 2010, Michel Balthazard, membre du comité directeur de Renault, est accusé de toucher des pots de vins.
  • Le service de sécurité de Renault est mis sur le coup. Fin de l’été 2010, un compte au Liechtenstein appartenant à Balthazard est « découvert », ainsi qu’un autre appartenant à son adjoint, Bertrand Rochette, qui recevrait 5 001 euros tous les mois de Balthazard via un cabinet Suisse. Un autre compte est également trouvé. Il appartiendrait à Matthieu Tennenbaum, directeur adjoint au programme des voitures électriques. Sur ce compte auraient transité plus de 400 000 euros. Coût des informations : 244 000 euros !
  • Lundi 3 janvier : les cadres sont convoqués individuellement à leur retour de congés. Ils prennent connaissance des accusations portées contre eux, mais d’aucune preuve. Ils nient et se voient remettre une lettre de mise à pied à titre conservatoire. Ils sont menacés de licenciement et de plainte s’ils ne se dénoncent pas, eux et leurs « comparses », et ne démissionnent pas. Gevrey et ses sbires surveillent les interrogatoires grâce à des micros placés dans les bureaux. Il est aidé d’autres membres de la direction, pour avertir les interrogateurs au cas où l’un des cadres craque.
  • Faute d’« aveux », les trois cadres sont licenciés deux semaines plus tard. Ils seraient coupables d’avoir fourni des informations sur la future voiture électrique de Renault. Pas sur la voiture en elle-même, mais sur le « modèle économique ». L’occasion pour Ghosn de pérorer à la télévision : « on n’espionne que les meilleurs » ! Les trois licenciés portent plainte et réclament réparation.
  • L’État, affirmant ne pas avoir été mis au courant plus tôt, se mêle de l’affaire. La DGSE conclut que les comptes « suspects » n’existent pas. Par contre il y en a un qui existe bien, mais qui est au nom de Gevrey, sur lequel se trouve l’argent versé par Renault pour la source. Gevrey, qui refuse de donner le nom de son informateur, est incarcéré le 13 mars, au quartier VIP de la Santé. Il finit par dévoiler le nom de sa source, ainsi que les méthodes utilisées par Renault pour mener l’enquête.
  • La direction de Renault finit par faire son mea culpa, diligente un audit interne, et relève de leurs fonctions plusieurs dirigeants, dont Patrick Pelata, le numéro 2 de Renault. Les trois barbouzes sont licenciés. Carlos Ghosn conserve ses postes de PDG de Nissan et de PDG de Renault.

  


[1] Surnom qui leur a été donné en raison de leurs noms : Balthazard, Tennenbaum et Rochette.

[2] Direction de la protection et de la sécurité de la défense, l’équivalent de la police des polices pour l’armée.

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