Assiégée depuis près d’un mois, la ville kurde de Kobané située au nord de la Syrie menace de tomber d’un moment à l’autre aux mains des bandes armées de l’« État islamique » (EI). En tout cas, elle est déjà devenue le symbole de l’hypocrisie des grandes puissances, prétendument unies pour sauver les populations de Syrie et d’Irak de la barbarie de l’EI.
Le gouvernement turc complice…
La Turquie, membre de la coalition, reprend aujourd’hui le discours expliquant que des frappes aériennes ne suffiront pas à réduire l’EI. Cyniquement, elle se dit disposée à envoyer des troupes au sol… si les autres États de la coalition y consentent aussi. En sachant que ce n’est pas le cas.
C’est donc seuls que les combattants de Kobané tentent de résister. Mais ils font face à un armement puissant, notamment américain, récupéré par l’EI en Irak. L’État turc a bien amassé blindés et artillerie le long de sa frontière. Mais pas pour venir en aide aux combattants kurdes. Au contraire : pour interdire, autant que possible, le franchissement de la frontière aux réfugiés qui fuient l’avancée de l’EI. C’est que les dirigeants turcs, ne voulant pas satisfaire les revendications de leur propre minorité kurde, ne seraient pas mécontents de l’écrasement des Kurdes de Syrie, fût-ce par l’EI.
…tout comme ceux des Etats-Unis et de la France
Les États-Unis, eux, ne sont pas allés au-delà de quelques frappes symboliques afin de ménager leurs calculs et futurs renversements d’alliances dans la région. Dans ce bal des hypocrites, la France n’est pas en reste : elle soutient l’idée du gouvernement turc d’instaurer une « zone de sécurité » à sa frontière avec la Syrie… ce qui ne serait qu’une mise sous tutelle d’une partie du Kurdistan syrien.
Face au cynisme de la coalition, des manifestations de soutien aux Kurdes ont eu lieu dans plusieurs pays, la semaine dernière. En Turquie même, dans des régions à majorité kurde, mais aussi à Istanbul et Ankara, rassemblant des manifestants d’origine kurde ou non. Là, les forces de répression ne sont pas restées l’arme au pied : selon le ministère turc de l’Intérieur, le bilan atteignait vendredi 31 morts et 360 blessés.
Le spectre des printemps arabes
Les frappes aériennes de la coalition, comme l’abandon de Kobané, sont autant d’épisodes d’une intervention qui, de guerres ouvertes en manœuvres politiques, n’a jamais cessé depuis des décennies.
Et depuis les « printemps arabes » de 2011, tous ont une obsession : empêcher les populations de se libérer elles-mêmes du joug politique et social qui les écrase. Quitte à favoriser les forces les plus réactionnaires, promptes à noyer tout frémissement révolutionnaire dans de sanglantes guerres civiles, en Libye hier ou en Syrie aujourd’hui.
Des populations prises en tenaille
Les peuples du Moyen-Orient se retrouvent ainsi pris en tenaille entre les grandes puissances cherchant à contrôler la région, les régimes locaux prêts, comme la plupart de leurs opposants, à monnayer leur soutien à l’une de ces puissances, et des groupes comme l’EI, qui profitent du chaos ambiant et du désespoir suscité par l’oppression et la misère pour prospérer… avant de devenir peut-être un interlocuteur régional avec qui les grandes puissances jugeront utile de composer.
Une seule classe ouvrière
Il n’y a pourtant à cela aucune fatalité. Les différences culturelles, linguistiques, reli-gieuses ne font obstacle à la cohabitation des peuples que tant qu’elles sont instrumentali-sées à leur profit par les possédants, ou ceux qui aspirent à le devenir.
Par-delà ces différences, les exploités de la région ont au contraire les mêmes intérêts à défendre. Ensemble, ils peuvent être une force. Comme lors des révolutions arabes de 2011, et comme pourrait l’être aujourd’hui la classe ouvrière de Turquie, dont la minorité kurde fait pleinement partie.