Jeudi 14 mai, les travailleurs de l’usine Renault Oyak de Bursa en Turquie (4800 salariés) se sont mis en grève pour refuser un accord signé par le syndicat jaune Turk Metal qui impose 3% d’augmentation de salaire jusqu’en 2017, alors que leur pouvoir d’achat vient de perdre 20% suite à la dévaluation de la Livre Turque (LT). Ils demandent : la garantie écrite qu’aucun gréviste ne sera licencié, que le syndicat Turk Metal soit chassé de l’usine et que des représentants élus par les travailleurs soient associés aux négociations, ainsi que 20 à 60 % de hausse des salaires.
L’incendie se propage
Cela a été le départ d’une puissante vague de grèves de 12 000 salariés qui touche les usines Tofas (groupe Fiat), Mako et Coskunöz (deux équipementiers de Renault) ou encore Ford Otosan, paralysant une partie de l’industrie automobile turque. « Ceci est notre printemps » dit un ouvrier. Le slogan « Renault, la résistance c’est partout » est repris par des milliers d’ouvriers. On peut lire sur une pancarte « résiste aujourd’hui pour ne pas mendier demain ». Les ouvriers alignent leurs revendications sur celles des Renault.
La solidarité, c’est l’arme des travailleurs
Devant l’usine, le moral est bon : on danse, on bat du tambour, on joue de la clarinette dans une atmosphère de liesse, mais un slogan traduit bien une solide détermination : « Plutôt mourir que reculer ». Des groupes d’ouvriers viennent devant l’usine en soutien aux grévistes barricadés à l’intérieur. On apporte des couvertures pour affronter le froid, des commerçants apportent de la nourriture, les familles viennent encourager les grévistes, des épouses avec un bébé dans les bras parlent à leur mari à travers les grilles de l’usine, des jeunes collent des affiches de soutien. A Izmir, Ankara, Istanbul, Eskisehir, Alexandrette, etc. les travailleurs d’autres entreprises expriment leur solidarité avec ceux de Bursa par le boycott des cantines, des débrayages, des déclarations de presse ou des messages de soutien sur Facebook.
Patrons, gouvernement et Turk Metal main dans la main pour éteindre l’incendie
Chez les patrons, c’est l’affolement : dans les usines en grève, ils coupent l’eau et l’électricité, essayent de verrouiller les toilettes (mauvaise idée : les travailleurs entrent dans celles du PDG en faisant un trou dans la porte), utilisent le chantage au licenciement, cherchent à convoquer individuellement les travailleurs. Les politiciens de l’AKP (le parti islamiste au pouvoir en Turquie) cherchent à gagner du temps en organisant des commissions de conciliation, faisant même venir trois dirigeants français de Renault en renfort. La police se positionne aux abords de l’usine et menace d’intervenir si les travailleurs de l’extérieur cherchent à entrer dans l’usine. Le procureur général de Bursa engage des poursuites pour cause de grève illégale. Et la propagande gouvernementale et patronale va bon train.
Premiers reculs du patronat
Lundi 25 mai, après 8 jours de grève, le travail a repris à Tofas où un accord est intervenu entre direction et représentants des ouvriers :
– aucun gréviste ne sera licencié,
– le syndicat jaune Turk Metal quittera l’usine et des élections seront organisées prochainement pour l’élection des propres représentants des travailleurs,
– versement d’une prime mensuelle.
Le même accord a été signé chez l’équipementier Mako. Et une proposition équivalente a été faite par la direction de Renault, où les salaires varient de 1300 à 2000 Livres Turques (entre 450 et 700 €). Mais ce lundi 25 mai, les ouvriers de Renault Oyak continuaient toujours l’occupation de leur usine, bien décidés à imposer leurs revendications.
L’entrée en lutte des travailleurs de Bursa est de toute façon une première victoire face à l’offensive du patronat sur les salaires et les conditions de travail qui a lieu en Turquie comme en France, et dans tous les pays où le patronat veut mettre les travailleurs en concurrence. Leur lutte est aussi la nôtre.
Éditorial des bulletins d’entreprise du secteur automobile du 25 mai 2015