L’accord de compétitivité Renault s’est fait épingler

 

L’atteinte au principe de faveur constitue un trouble manifestement illicite

 

La Cour d’appel de Versailles, statuant en référé, vient de se prononcer sur une clause emblématique de l’accord de groupe « Contrat pour une nouvelle dynamique de croissance et de développement social de Renault en France  du 13 mars 2013.

 

La portée de la décision judicaire n’a pas été perçue de la même manière par les premiers commentaires qui ont été publiés. Certains ont présenté l’accord de compétitivité comme devant être simplement « amendé » (« Renault : la cour d’appel de de Versailles ordonne d’amender l’accord de compétitivité ») . D’autres ont souligné qu’il avait été « retoqué » (Loan NGUYEN, « L’accord de compétitivité de Renault
retoqué », L’Humanité des 20, 21 et 22 décembre 2013).

 

La lecture de l’arrêt rendu le 18 décembre 2013 met en évidence que les juges ont moins exprimé un souhait de voir l’accord amélioré qu’ils ont manifesté leur rejet d’une démarche qu’ils ont considéré comme constitutive d’un trouble manifestement illicite.

 

Cela fait maintenant plusieurs mois qu’il a été démontré, dans les colonnes de Chronique Ouvrière, que s’étaient rendus coupables d’une « voie de fait » les signataires de l’accord de groupe du 13 mars 2013 qui avaient mis en place une « justice privée » interdisant l’accès à un « tribunal qui décide » et au « principe de faveur » (Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS et Pascal MOUSSY, « L’accès au principe de faveur menacé par la « nouvelle dynamique » de l’accord de compétitivité Renault »). Ce sont en effet les signataires de l’accord de groupe du 13 mars 2013 qui ont déterminé eux-mêmes quelles étaient les dispositions conventionnelles les plus avantageuses pour les salariés. Il n’y avait plus matière à intervention judicaire en vue de résoudre un conflit entre plusieurs normes conventionnelles : le postulat était posé par les signataires de l’accord de groupe que les dispositions qu’ils avaient élaborées prévalaient « de plein droit » sur celles des accords d’entreprises et d’établissements. Les signataires de l’accord de groupe du 13 mars 2013, en se reconnaissant ainsi une prééminence hiérarchique, entendaient empêcher le salarié d’accéder au « principe de faveur » en lui interdisant d’accéder à un juge qui puisse décider si ce sont les dispositions de l’accord de groupe ou celles des accords d’entreprise ou d’établissement qui sont « globalement plus favorables ».

 

C’est cette « voie de fait » qui a été appréhendée par le juge des référés. Les motifs de l’arrêt rendus par la Cour d’appel de Versailles sont particulièrement explicites.

« Néanmoins, il convient de s’arrêter à l’expression « de plein droit » dans la phrase : « Elles prévalent aussi de plein droit aux stipulations portant sur le même objet des accords d’établissement et des accords d’entreprise conclus selon les principes de l’accord du 15 avril 1999 », qui visent les stipulations relatives au temps de travail citées supra. L’emploi de cette expression qui exprime l’idée qu’une règle a pour effet de s’appliquer automatique à une situation donnée et qui, si elle n’interdit pas le recours à l’intervention du juge, ne serait-ce que pour vérifier si la situation décrite est bien avérée, a incontestablement pour but d’accréditer l’idée qu’il serait privé de la liberté d’appréciation une fois cette constatation effectuée.

 

Même si elle correspond qu’à un effet d’annonce et ne peut réellement porter atteinte à la liberté d’appréciation du juge qui, en tout état de cause, reste entière, notamment pour annuler une disposition qui serait contraire à l’ordre public, de par la volonté affirmée des partie de l’inutilité d’avoir recours à son office pour déterminer le caractère plus favorable de l’une ou l’autre des stipulations évoquées, elle est à l’évidence constitutive d’une atteinte au principe de faveur et caractérise en conséquence l’existence d’un trouble manifestement illicite.

 

Dès lors, il sera ordonné le retrait de l’expression « de plein droit » dans la phrase : « Elles prévalent aussi de plein droit aux stipulations portant sur le même objet des accords d’établissement et des accords d’entreprise conclus selon les principes de l’accord du 15 avril 1999 », figurant au chapitre 12 de l’accord de groupe du 13 mars 2013, intitulé « contrat pour une nouvelle dynamique de croissance et de développement social de Renault en France », dans un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt ».

 

La Cour d’appel de Versailles a ainsi clairement manifesté qu’elle n’a pas du tout été convaincue par les explications des signataires de l’accord de compétitivité Renault qui ont fait valoir qu’ils avaient réalisé une œuvre parfaite devant être préservée de toute critique.

 

La Fédération générale de mines et de de la métallurgie CFDT à qui la société Renault avait confié la tâche d’exposer à l’audience les arguments de droit visant à faire valider la clause litigieuse avait relevé le challenge.

 

Elle avait doctement soutenu que « le seul objet de la clause consistait à exprimer la volonté commune des parties d’appliquer ledit accord au lieu et place des stipulations des accords d’entreprise et d’établissement antérieurs ayant le même objet, et d’expliquer que, selon elles, cette décision est fondée sur le principe de faveur » et qu’ « ainsi, loin de prétendre qu’il existerait une hiérarchie entre les accords d’entreprise et d’établissement, d’une part, et l’accord de groupe, d’autre part, et que celui-ci serait supérieur à ceux-là, les parties ont pris acte de l’égale valeur de l’un et des autres et, par suite, de la situation de concours – ou de conflit – qui existe nécessairement entre ces différents actes normatifs ».

 

Cette présentation était particulièrement soft. Son caractère malhonnête n’a pas échappé au juge des référés qui lui a répondu en ordonnant sans aucune ambiguïté le retrait pur et simple de l’expression « de plein droit ».

 

Une fois connue la décision, le service « com » de Renault a superbement réagi. « Renault prend acte de cette décision de justice qui permet à l’accord de compétitivité de s’appliquer dans toutes ses dimensions » (voir article de l’Humanité précité).

 

Apparemment, la direction de Renault n’a pas mesuré toute la portée de l’arrêt. La tentative de porter atteinte à l’entière liberté d’appréciation du juge a échoué.

 

A l’occasion des contentieux futurs, c’est au juge qu’il appartiendra de se forger sa conviction sur le caractère globalement plus favorable ou non de l’accord de groupe du 13 mars 2013.

On peut penser qu’il se livrera à un examen particulièrement attentif s’il lui est rappelé que la société Renault et ses acolytes ont essayé d’interposer une « disposition écran » entre l’accord et son contrôle. Il y avait peut-être quelque chose à cacher…

 

Il lui ne sera alors peut-être différent de savoir qu’au moment de la signature de l’accord, l’euphorie n’était même pas unanime chez les syndicats signataires. « Le syndicat CFDT indique que « bien que l’équipe de négociation CFDT se soit beaucoup battue pour améliorer de nombreux points de cet accord, certaines clauses, qui n’ont pu être amendées, restent pénalisantes pour les salariés de sites bénéficiant d’accord locaux plus avantageux en termes de temps de travail » » (« Croissance et développement social chez Renault France », Liaisons sociales n° 16315 du 28 mars 2013, 3).

 

Chronique ouvrière, 23 décembre 2013

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