Dernier acte d’une tragédie : celle du suicide d’Hervé Tizon en 2007, technicien au Technocentre Renault de Guyancourt.
En 2012, la cour d’appel de Versailles jugeait l’entreprise Renault coupable de faute inexcusable après le suicide d’Hervé (Cour d’Appel de Versailles, 10 mai 2012, n° 10/05488).
La direction de Renault décide alors de se pourvoir en cassation.
Elle veut faire valoir que les éléments constitutifs d’une faute inexcusable ne sont pas réunis au plan des règles de droit, pour que sa responsabilité soit directement retenue (rappelons ici les conditions de reconnaissance de la faute inexcusable : en premier lieu, il faut que l’employeur ait eu conscience du danger auquel son salarié était exposé, et en second lieu, il faut qu’il se soit abstenu de prendre des mesures pour protéger ce subalterne).
Le pourvoi de Renault a été rejeté le 19 septembre 2013.
Dans sa décision, la Cour de cassation reprend bien point par point les éléments qui avaient déjà fondé le verdict des premiers juges :
– « il résulte des investigations effectuées au cours des enquêtes réalisées par la caisse primaire d’assurance maladie, l’inspection du travail et les services du commissariat de Versailles, que le salarié a, dès son arrivée au sein de la direction des méthodes de conception, rencontré de graves difficultés pour assurer des fonctions pour lesquelles il n’avait pas les connaissances
requises ;
– que l’équipe en place n’a pu assurer la formation prévue en raison du départ précipité de la personne chargée de la dispenser ;
– que cette situation a provoqué chez le salarié un profond désarroi se traduisant par des échanges de courriels avec les membres de son équipe et son supérieur hiérarchique dans lesquels il sollicitait l’aide nécessaire pour effectuer les missions confiées dans les délais impartis ;
– que cette situation a entraîné l’hospitalisation du salarié pendant 15 jours pour des troubles dépressifs sévères, l’intéressé ayant fait appel aux services de police le 14 mai 2006 afin d’éviter de mettre sa vie en danger ;
– qu’en dépit des préconisations du médecin du travail, une nouvelle affectation n’a été effective que plusieurs mois plus tard, en octobre 2006 ;
– que si son nouveau poste a placé le salarié dans des conditions de travail moins stressantes, il n’a pu bénéficier d’aucune réelle formation, puisqu’il résulte des enquêtes réalisées qu’il a simplement été accompagné dans son travail par un autre collaborateur exerçant les mêmes fonctions, sans réduction d’activité compensant cette aide ponctuelle ;
– que les supérieurs hiérarchiques du salarié n’ont jamais réellement recherché à améliorer ses conditions de travail ;
– qu’ils n’ont jamais contrôlé ses horaires de travail qui, selon les relevés de l’inspection du travail avaient atteint une amplitude de 10 à 12 heures par jour en janvier 2007 et révélaient l’incapacité du salarié à assurer l’exécution de ses nouvelles attributions dans des conditions satisfaisantes respectant l’exigence d’un repos quotidien suffisant ».
(Cour de Cassation, 2ème chambre civile, 19 sept. 2013, n° de pourvoi 12-2215)
Pour sa défense, l’employeur faisait valoir qu’Hervé avait été déclaré apte par le médecin du travail au retour de son hospitalisation pour
troubles dépressifs, et que, conformément aux préconisations médicales, il avait bénéficié d’une nouvelle affectation sur un poste considéré comme « moins stressant ».
Quant à dire qu’il n’avait bénéficié d’aucune réelle formation, rien n’indiquait « en quoi les mesures d’accompagnement du salarié avaient été insuffisantes, compte tenu de la nature du poste, et de la formation et de l’expérience professionnelles du salarié, pour lui permettre d’occuper ce nouvel emploi ».
Des arguments qui n’ont pas suffi à convaincre les Hauts juges.