Après avoir déposé sans succès début février une motion référendaire visant à soumettre le projet de réforme des retraites à un référendum, les députés du Rassemblement National (RN) ont déposé une motion de censure contre le gouvernement. Celle-ci a été également rejetée dans la nuit du vendredi 18 février, jour de clôture des débats sur la réforme des retraites à l’Assemblée nationale. Mais le RN a néanmoins atteint son but : apparaitre en opposition à cette réforme, et si possible comme son meilleur opposant. Le plus responsable, en ne déposant que 200 amendements, soit deux fois moins que les députés Renaissance, quand LFI en soumettait 13000 et LR 1250, quitte à passer pour indifférent aux débats du Parlement. Et le plus déterminé, reprochant à la NUPES de faire le jeu de Macron en refusant de voter avec le RN à l’Assemblée.
L’âge du capitaine
Mais il est bien plus difficile de savoir ce que le RN défend sur les retraites. Si Jean-Marie Le Pen plaidait pour un départ à la retraite à 65 ans, la normalisation et la dédiabolisation du parti d’extrême-droite menée par sa fille passe par des propositions de réformes sociales à destination des travailleurs et des classes populaires, qui s’ajoutent désormais aux sujets identitaires et sécuritaires.
Ce programme social est surtout un affichage symbolique. Aux élections présidentielles de 2017, Marine Le Pen défendait certes la retraite à 60 ans avec 40 annuités pour une retraite à taux plein. Mais après avoir dit que cette mesure serait « à effet immédiat », elle avait expliqué entre les deux tours qu’elle s’engageait finalement « à ce que ce soit le cas d’ici la fin de [son] quinquennat ». Elle conditionnait également cette réforme à une baisse du chômage et ajoutait : « Si on s’aperçoit qu’il y a encore un problème avec le système des retraites, je me tournerai vers les Français et je leur dirai : J’ai fait tout ce qui est nécessaire, là je suis obligée de me tourner vers vous pour faire un effort ». Plus elle s’expliquait, plus c’était flou.
Puis lors de la présentation à la presse de son programme aux élections présidentielles de 2022, Marine Le Pen était carrément revenu sur la retraite à 60 ans pour tous. Celle-ci serait désormais réservée à celles et ceux qui ont commencé à travailler entre 17 et 20 ans, à condition toutefois d’avoir cotisé pendant 40 ans. Les personnes ayant démarré entre l’âge de 20 et 24,5 ans pourraient partir entre « 60,75 et 62 ans » selon un échéancier assez imprécis. Celles ayant commencé à travailler à partir de 25 ans auraient droit à une retraite à taux plein au bout de 42 ans de cotisation, c’est-à-dire à partir de 67 ans. Ce qui lui valut ce titre du journal Les Échos du 17 février 2022 : « Présidentielle : Marine Le Pen prône la retraite entre 60 et 67 ans ».
La candidate Le Pen annonçait également vouloir mettre fin au régime de la pénibilité : « Ma réforme règle le problème de la pénibilité en créant un dispositif simple et efficace » en expliquant qu’une carrière précoce rime souvent avec un travail pénible, donc plus besoin du dispositif carrières longues.
En fait, le calendrier des âges de départ en retraite du RN risque de se confondre avec celui du gouvernement une fois amendé sur les carrières longues.
En ce qui concerne les régimes spéciaux de retraite, Marine Le Pen jugeait pendant la campagne présidentielle de 2022 que « certains se justifient tout-à-fait », promettant qu’elle les « analysera régime par régime après l’élection ». Leur maintien n’est donc pas garanti. Quant au montant minimum des pensions, Marine Le Pen défendait un minimum contributif à 1000 euros quand Macron le fixait à 1100 euros avant de promettre 1200 euros dans la réforme actuelle.
Pas touche au CAC40
Contrairement à Éric Zemmour et à LR qui sont fondamentalement pour la réforme Macron, Marine Le Pen, Jordan Bardella et les députés du RN jugent la réforme actuelle « brutale » et « injuste ». Ils s’en prennent au gouvernement, mais épargnent systématiquement le MEDEF qui serait le vrai gagnant si cette réforme venait à s’appliquer sans couter un sou au grand patronat.
Le RN a la même position concernant les salaires. Il veut inciter les entreprises à augmenter les salaires de 10 % par une exonération des cotisations patronales. Mais inciter ne veut pas dire obliger, ce serait toujours au patronat d’en disposer. Un effet d’annonce qui grèverait d’autant le budget de l’État puisque c’est lui qui compense les exonérations de cotisations sociales depuis 1994.
C’est la logique habituelle du RN : ne jamais chercher à prendre l’argent où il y en a, c’est-à-dire dans les caisses de la grande bourgeoisie et du patronat. Quant aux solutions vantant le « patriotisme économique » et la « réindustrialisation ambitieuse de la France », il faut les comprendre comme une incitation à élever encore plus le montant des aides publiques de l’État aux entreprises qui s’élèvent déjà à 160 milliards d’euros par an.
Fabriquer des travailleurs français
Plutôt que de faire participer le patronat au financement des retraites, le RN revendique de faire des enfants. « Les bébés de 2023 sont les cotisants de 2043 », « la France n’a jamais été aussi peuplée mais elle n’a jamais fait aussi peu de bébés », a déclaré Bardella au micro de BFMTV le 24 janvier dernier. Et voilà la bonne vieille recette nataliste chère à l’extrême-droite qui fait son retour.
Mais pas n’importe quels enfants. Il faut les produire français. Le vice-président RN de l’Assemblée nationale, Sébastien Chenu, l’a dit clairement sur France Inter le 13 février : « Je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe. » Manière d’ajouter au racisme un mépris social assumé. Pour le RN, l’essentiel est de fournir une main-d’œuvre française au patronat. D’ailleurs, en septembre dernier, plusieurs députés RN ont déposé une résolution à l’Assemblée nationale visant à faire de l’année 2024 « une année dédiée à la relance de la natalité française ». En fait au RN comme chez Reconquête, la défense de la natalité est liée à cette obsession raciste du prétendu « grand remplacement », qui prône l’arrêt de l’immigration comme solution à tous les problèmes sociaux.
La Hongrie de Viktor Orban est leur source d’inspiration. Depuis dix ans, une politique destinée à relancer la natalité dans ce pays a été mise en œuvre : aide de 7 000 euros pour une voiture de sept places, prêt immobilier de plus de 100 000 euros garantis par l’État si on s’engage à faire plus de trois enfants, et, tout dernièrement, les Hongroises de moins de 30 ans décidant d’avoir ou d’adopter un enfant ne sont plus soumises à l’impôt sur le revenu. De quoi remettre les femmes au foyer.
Objectif 2027
L’opposition du RN sur les retraites est surtout une posture. Son objectif n’est pas de faire reculer le gouvernement, mais de préparer les prochaines élections. Le secrétaire général du groupe RN à l’Assemblée l’a dit mieux que personne : « Au fond, la question n’est pas de savoir qui gagne, mais qui sera le réceptacle de la colère née de cette réforme. »
Alors que le monde du travail montre sa force et sa détermination dans la rue depuis le 19 janvier et que les appels à une grève dure se multiplient pour le 7 mars, le président du RN n’appelle pas à manifester et même s’oppose aux grèves. Jordan Bardella l’assume : « j’ai une ligne claire : le blocage, qui est la double peine pour les Français. Ils ont la réforme à 64 ans et en plus des difficultés pour mettre de l’essence. Les gens n’ont pas besoin de ça. »
Pour le RN, ce n’est donc pas dans la rue que cela doit se passer. Ce n’est pas au monde du travail de faire reculer Macron par des grèves dont serait aussi victime le patronat. Sans compter qu’une victoire des travailleurs sur les retraites leur donnerait confiance dans leurs propres forces, y compris pour mener d’autres combats comme sur les salaires. Le calcul du RN, c’est de se poser en opposant à Macron pour en tirer les fruits électoraux et porter sa leader à la présidence en 2027. Souhaitons que le monde du travail lui donne tort en faisant remballer à Macron sa réforme des retraites en 2023.