Selon son épouse, avant son suicide le 20 octobre 2006, Antonio B. avait perdu huit kilos en un mois et demi et pleurait tous les soirs. Près de cinq ans plus tard, la Cour d’appel de Versailles a reconnu une “faute inexcusable” de son employeur, Renault.
“Cette décision est une première, j’espère que les entreprises l’entendront mais aussi les salariés. J’espère que ça sonnera comme un avertissement pour les entreprises qui mettent en place des systèmes de management destructeurs”, a réagi Sylvie T., la veuve.
“Pour moi, il est important de reconnaître qu’on ne peut pas demander toujours plus avec toujours moins de moyens”, a-t-elle poursuivi après avoir pris connaissance de l’arrêt confirmant une décision de 2009 du Tribunal des Affaires sociales de Nanterre (Tass, en banlieue ouest de Paris).
Une porte-parole de Renault a dit à l’AFP “prendre acte de la décision” de la cour d’appel et attendre de connaître les “éléments de motivation de la décision avant de décider” d’un éventuel pourvoi en cassation qui doit être déposé dans un délai de deux mois.
“Je suis contente aussi pour ma famille et pour mon fils, pour qu’il puisse comprendre le geste de son père, qui avait perdu huit kilos en un mois et demi, que j’ai vu pleurer tous les soirs et dire qu’aucune faute ne lui serait pardonnée”, a poursuivi la jeune femme, émue.
Son mari, un ingénieur de 39 ans, était l’un des trois salariés du Technocentre de Guyancourt (Yvelines, ouest de Paris) à s’être suicidé en quatre mois en 2006 et 2007. Il s’était jeté du cinquième étage du bâtiment principal du Technocentre. Son dossier était le premier à parvenir à ce stade de la procédure.
La cour d’appel de Versailles va prochainement être amenée à examiner les deux autres.
Dans le cas de Raymond D., qui s’était donné la mort à son domicile le 16 février 2007, Renault a fait appel du jugement reconnaissant son suicide en accident du travail, préalable à la reconnaissance de la faute inexcusable. L’arrêt est attendu pour le 9 juin.
La famille d’Hervé T., retrouvé noyé en janvier 2007 aux abords du Technocentre, a fait appel et attend une date d’audience après que la “faute inexcusable” de Renault a été écartée en novembre 2010 par le Tass de Versailles.
“La cour d’appel a dit que Renault avait nécessairement conscience du danger auquel était exposé Antonio B. au regard de sa charge de travail”, a commenté Me Rachel Saada, l’avocate de la famille du salarié.
“Il va falloir que ceux qui travaillent puissent dire un mot, et même plus, sur l’organisation du travail et sur la charge de travail. Il faut qu’on passe de l’évaluation du salarié à l’évaluation de la charge de travail”, a estimé l’avocate, soulignant qu’Antonio B. “aimait son travail et le faisait très bien”.
La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur donne droit à une majoration de la rente allouée à la famille du salarié, qui peut prétendre à des dommages et intérêts. La veuve d’Antonio B. s’est vu accorder un euro au titre de son préjudice, conformément à sa demande.
Pour Alain Gueguen du syndicat Sud, cette décision est une “première étape”. “D’autres dossiers doivent aboutir à la même conclusion”, a-t-il poursuivi.
Après plusieurs suicides chez Renault puis chez PSA, précédant une série noire à France Télécom, les syndicats ont rendu responsables de suicides les méthodes de management et les restructurations des entreprises.
Mais quant à quantifier le phénomène, les experts restent prudents. Une extrapolation d’une étude menée en 2003 en Haute-Normandie par des médecins du travail a estimé entre 300 et 400 par an les suicides liés au travail en France.