Vêtus de noir, avec capuches ou cagoules et pour certains armés, les manifestants qui ont descendu les Champs Élysées vendredi 21 octobre sans autorisation de la préfecture ont eu de la chance. Au printemps dernier, les gendarmes mobiles ont gazé et matraqué d’autres manifestants pour moins que ça.
Après avoir joué les auxiliaires des CRS contre les manifestants hostiles à la loi travail, des agents de la police nationale se met à les imiter. Pourquoi ?
Les raisons du malaise
Lieux de travail crasseux, managers obnubilés par la politique du chiffre et de plus en plus inaccessibles, effectifs qui ont fondu : les policiers de base subissent certaines des conditions que connaissent trop bien tous les travailleurs.
Entre autres, 12 % d’entre eux sont précaires, dont l’un est entre la vie et la mort après l’agression de Viry-Châtillon à l’origine du mouvement. Les risques pris au travail pour la santé ou la vie ont mis le feu aux poudres. Une réaction que comprennent tous les salariés : personne ne veut perdre sa vie à la gagner.
Que les flics de terrain se rebellent contre leur hiérarchie, qu’ils ne veuillent plus qu’on les envoie au casse-pipe pour faire le sale boulot décidé par les gouvernements successifs, ça se comprend.
L’escalade de la violence
Pour une fois qu’ils osent la contestation, dommage qu’ils avalent des revendications téléphonées par des excités d’extrême droite (dont des ex-flics reconvertis dans la barbouzerie), ce qui revient pour eux à se tirer une balle dans le pied : leur donner des armes plus puissantes ou leur permettre de tirer plus souvent sous couvert de légitime défense ? Loin d’empêcher des confrontations avec les petits voyous (les grands, les flics du rang ne les voient jamais !), cela ne les rendra que plus violentes.
Aux États-Unis, au Brésil, au Mexique ou aux Philippines, la militarisation de la police s’est accompagnée de celle des réseaux mafieux. Jusqu’à ce que la population ne distingue plus les flics, des voyous et des cartels.
Et la population trinque : les policiers américains ont battu un triste record en 2015 en tuant 1 100 personnes, dont 979 par arme à feu.
« Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons. »
Quant au supposé laxisme de la justice, il ne résiste pas à l’examen des faits : jamais les prisons n’ont été autant remplies, non pas de grands délinquants en cols blancs qui volent des milliards en évasions fiscales et autres magouilles à grande échelle, mais de petits dealers recrutés dans les quartiers pauvres abonnés au chômage et abandonnés par les services publics.
Victor Hugo disait « ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ». En effet, que les flics contestataires commencent par ne pas adopter des revendications répressives qui les couperont encore plus de la population. Qu’ils choisissent plutôt le camp de l’ensemble des salariés qui revendiquent plus d’écoles, d’emplois, de services publics.
Le chômage et la précarité font des ravages. Les policiers sont bien placés pour le voir. Jouer l’escalade de la violence contre les désespérés du système fera les affaires électorales de l’extrême-droite, pas les leurs.
Tourner la colère dans le bon sens
Au printemps dernier, lors des défilés contre la loi Travail, on a vu tous ces jeunes flics déguisés en RoboCops en train de nasser les cortèges à coup de lacrymos et grenades assourdissantes. Certains policiers, plutôt paniqués, se demandaient ce qu’ils fichaient là. Pas au point de désobéir aux ordres. Dommage. Les flics en mal de rébellion aujourd’hui, ont un problème et un dilemme : leur mission fondamentale est la protection de cet ordre social injuste et destructeur. Alors, quitte à se rebeller, autant qu’ils songent à passer dans l’autre camp.
Et qui sait… Dans les révolutions, les choses sérieuses commencent justement quand les forces de l’ordre passent de l’autre côté de la barricade.