Révolution Permanente, Lutte ouvrière, le NPA-C et la lutte pour l’auto-détermination de la Palestine

Dans un article intitulé « Lutte ouvrière, le NPA-C et la lutte pour l’auto-détermination de la Palestine » publié le 30 octobre sur le site de Révolution Permanente (RP), l’auteur « responsable de la communication du parti » critique « la stratégie défendue par LO et le NPA-C [qui] échoue à articuler lutte révolutionnaire et lutte de libération nationale ».

LO est accusé d’« assimiler le Hamas à un État colonial nucléarisé comme Israël », tandis que le NPA-C insisterait « uniquement sur la solidarité avec le peuple palestinien ». Un « choix » qui permettrait de « renvoyer dos-à-dos une organisation du mouvement national palestinien et l’État d’Israël » et « d’éviter de se situer clairement dans la guerre en cours, en préférant un soutien aux droits du peuple palestinien, à bonne distance des affrontements en cours entre deux camps. » Pour RP, il faudrait choisir le camp de la résistance palestinienne, et donc du Hamas. Et d’en appeler à Marx, Engels, Lénine et Trotsky !

Le soutien de RP à la politique du Hamas est total malgré quelques objections de principe. Les « meurtres de civils, que nous condamnons, ont constitué un prétexte commode pour dissimuler les racines profondes d’une telle attaque » écrit RP. Le 7 octobre, RP ne cachait pas son enthousiasme pour l’attaque du Hamas en publiant sur son site un article intitulé « Offensive surprise contre l’État colonialiste d’Israël. Soutien à la résistance palestinienne ! » L’article décrivait « une offensive sans précédent qui a permis aux combattants palestiniens de prendre en otage des militaires, y compris des officiers, mais aussi certains civils… Parmi les images les plus impressionnantes on a pu voir la fuite en masse de colons israéliens… Ce samedi la force morale se trouve clairement du côté du peuple palestinien qui n’a plus rien à perdre, qui se bat contre l’oppression coloniale. » Mais où se situe la « force morale » d’un massacre de centaines d’enfants, de personnes âgées, d’ouvriers agricoles thaïlandais ou de jeunes participant à un festival de musique électronique ? Et l’article de conclure par un « soutien inconditionnel à la résistance palestinienne… malgré toutes les différences politiques et sur les méthodes que nous pouvons avoir avec la direction de la résistance palestinienne ».

« Faut-il considérer que la résistance du camp palestinien à la tête duquel se trouve aujourd’hui le Hamas est réactionnaire ? » demande RP. Mais considérer le Hamas comme réactionnaire n’oblige pas à mettre la résistance des Palestiniens à leur oppression nationale dans le même sac. Certes « le Hamas n’est pas Daesh » comme l’écrit RP, mais il est tout aussi réactionnaire et obscurantiste. Le Mouvement de la résistance islamique se différencie aussi de l’Organisation de Libération de la Palestine laïque qui comprenait des organisations nationalistes se réclamant du marxisme. Mais leurs méthodes sont similaires : comme l’OLP, le Hamas procède à des actions terroristes, celle du 7 octobre marquant un degré supplémentaire dans le nombre de victimes et dans l’horreur.

Le problème n‘est pas que l’OLP ou le Hamas mènent une lutte armée, mais qu’ils règlent par les armes toute concurrence dans la représentation des Palestiniens (voir les affrontements meurtriers entre le Fatah et le Hamas à Gaza après 2006). Ces méthodes étouffent toute émancipation et mouvement révolutionnaire réel des Palestiniens. Un exemple en a été donné en juillet et aout 2023 lorsque le Hamas a réprimé des Palestiniens de la bande de Gaza qui manifestaient contre leurs conditions de vie et la politique du Hamas, notamment à Khan Younès1 La lutte de classe est combattue au profit de la seule lutte nationale, camp contre camp. Le but des actions terroristes du Hamas est de devenir le seul et indépassable interlocuteur vis-à-vis des régimes arabes, d’Israël et de ses soutiens, et d’obtenir sa place dans l’ordre mondial comme dirigeant d’un futur Etat palestinien.

RP critique ensuite la politique de fraternisation et de solidarité mises en avant par LO et le NPA-C : « “C’est la solidarité des travailleurs, travailleuses et des pauvres d’Israël avec ceux et celles de Palestine qui permettrait d’infliger une défaite à l’État sioniste d’Israël” note ainsi le NPA-C, “en Israël, des travailleurs palestiniens et israéliens travaillent souvent ensemble. Il faut qu’ils retrouvent la conscience de leurs intérêts communs” explique de son côté Lutte ouvrière. »

En fait, Arabes et Juifs sont très loin de « travaille[r] souvent ensemble » comme l’écrit LO. « La situation est loin d’être celle-là dans le régime d’apartheid. La possibilité pour les Palestiniens de travailler en Israël a été considérablement réduite, […] leurs relations avec les Israéliens au travail sont surtout marquées par des rapports de subordination, et où leurs collègues viennent d’Inde, de Chine ou d’Asie du Sud-Est » note RP. Les derniers gouvernements israéliens, sous la pression de l’extrême-droite religieuse et messianique, ont réduit drastiquement le nombre de Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza travaillant en Israël. Une grosse partie des travailleurs de Cisjordanie et de Gaza sont au chômage. Les restrictions de circulation limitent les rencontres physiques entre les deux populations. Les Arabes israéliens sont davantage en contact avec des Juifs israéliens. Leur place particulière a encore été illustrée dans les mobilisations de 2021. Mais ils subissent une discrimination de plus en plus forte comme citoyens de seconde zone, surveillés par le gouvernement israélien comme une cinquième colonne malgré le fait que les partis arabes ont dénoncé les massacres du 7 octobre à la Knesset.

La question nationale ne se résoudra pas sans l’irruption des classes populaires dans le jeu de l’impérialisme mondial. La question sociale et la lutte des classes ne résoudront pas naturellement les oppressions nationales et la question palestinienne. RP dénonce certes l’« incapacité à penser l’articulation entre lutte révolutionnaire et lutte de libération nationale. » Mais on ne voit pas dans sa « stratégie » l’articulation inverse entre lutte de libération nationale et lutte révolutionnaire, à part l’invocation d’une formule sur la « transcroissance de la lutte pour l’autodétermination nationale en révolution ouvrière ». Cette « transcroissance » s’est surtout manifestée dans les faits par un suivisme des nationalistes radicaux des pays coloniaux par la majorité du mouvement trotskyste d’après la seconde guerre mondiale.

Dans le cadre d’une Palestine divisée, morcelée et sous le coup de la répression et de la guerre, une perspective politique est nécessaire pour disputer la direction politique aux nationalistes. Il s’agit de dénoncer le blocus et les bombardements de Gaza qui font des milliers de victimes et affament les survivants, l’apartheid en Israël, la colonisation en Cisjordanie, les discriminations envers les Arabes israéliens… Avec comme perspectives, vu le fossé de sang entre Juifs et Palestiniens, la construction d’une organisation des travailleurs palestiniens qui défendent leurs propres revendications, parfois aux côtés mais en toute autonomie de leur bourgeoisie, qui s’adressent aux travailleurs et aux Juifs anti-apartheid, et une organisation juive de même type en Israël. Il ne suffira certes pas d’avoir la bonne « stratégie » pour y arriver. Cela dit, avoir des perspectives peut y aider.

Lesquelles ? La solution à deux Etats ? Les accords d’Oslo de 1993 ont fait long feu. Les démocrates américains Biden et Blinken ressortent soudain cette solution. Elle se résume à ce que l’OLP et Mahmoud Abbas, discrédité aux yeux de nombreux Palestiniens, remplacent le Hamas à Gaza. En guise d’Etat palestinien, l’OLP aurait la gestion de l’ensemble des bantoustans palestiniens. Les USA n’entendent rien imposer aux gouvernements israéliens qui ont glissé progressivement vers une autre solution : celle d’un état juif s’étendant sur toute la Palestine, incluant la Cisjordanie, voire au-delà du Jourdain. L’assassin du premier ministre israélien Rabin, signataire des accords d’Oslo, est issu du sionisme religieux dont le parti détient aujourd’hui les ministères des « Implantations » (colonies) et de la Défense au sein du gouvernement de Netanyahu (Likoud, Droite), aux côtés d’autres ministres suprémacistes juifs, ultra-orthodoxes et homophobes. De l’autre, le Hamas compte bien continuer à prospérer sur l’échec de la solution à deux Etats dans lequel le Fatah s’est embourbé.

A moins de conserver les confettis actuellement sous la pseudo-autorité de l’OLP en Cisjordanie, on voit mal comment créer deux Etats territorialement séparés par les frontières de 1967 vu le développement des colonies en Cisjordanie qui comptent désormais 700 000 Juifs. La solution à deux Etat ne règle pas non plus le sort des Arabes israéliens. Un tel partage territorial pourrait entrainer une épuration ethnique à l’image de la partition des Indes britanniques en 1947 entre Etats hindou et musulman. Et comment être sûr que ces deux Etats à peine créés ne se fassent pas la guerre ?

RP défend « le projet d’une Palestine ouvrière et socialiste, dans laquelle les Arabes et les Juifs puissent vivre en paix ». Auraient-ils soudainement « fraternisé » ? Mais comment garantir dans cette état unique les droits des Juifs et des Palestiniens sans que les uns ne prennent le dessus sur les autres ? Un Etat binational pourrait être une solution, en donnant aux Juifs et aux Palestiniens une représentation et un exercice du pouvoir à tous ses échelons.

Un tel Etat ne peut se faire dans la continuité de celui d’Israël, marqué par des décennies d’oppression des Palestiniens, et pas davantage sur la base des structures actuelles du Hamas ou de l’OLP. Il ne peut se réaliser que par l’irruption des masses arabes et juives dans un mouvement révolutionnaire porteur d’une extension aux peuples du Moyen-Orient et au-delà.

La perspective d’un Etat binational et socialiste des travailleurs de Palestine et d’Israël, telle pourrait être la base d’une discussion avec « une nouvelle génération politique à la recherche d’une stratégie à même de conquérir l’auto-détermination » qui émergerait au Moyen-Orient, aux USA où des milliers de Juifs manifestent contre Netanyahu et pour les droits des Palestiniens, et autour de nous là où nous militons.


  1. 30 juillet 2023, vague de manifestations pour de meilleures conditions de vie à Gaza (AFPS)
    Les manifestations anti-Hamas réapparaissent à Gaza, mais tiendront-elles ? (The Times of Israël)
    D’autres manifestations de Gazaouis ont été réprimées par le Hamas en 2017 et 2019. ↩︎

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